Interopérabilité : Apple contre-attaque Bruxelles et conteste les exigences du Digital Markets Act

La firme de Cupertino a officiellement déposé un recours contre la Commission européenne, dénonçant des règles "dangereuses" pour la sécurité des utilisateurs et nuisibles à son modèle intégré. En jeu : l’obligation d’ouvrir certaines fonctionnalités de l’iPhone aux appareils connectés de fabricants tiers.
La confrontation entre Apple et la Commission européenne s’intensifie. Le 30 mai 2025, la firme californienne a saisi la Cour générale de l’Union européenne à Luxembourg pour contester une des obligations phares du Digital Markets Act (DMA), entré en vigueur en mars 2024. Ce règlement vise à briser les effets de verrouillage créés par les géants du numérique, en imposant une meilleure interopérabilité entre les services dominants et les produits de concurrents.
Or, Apple estime que les exigences de Bruxelles vont trop loin. En particulier, la firme s’oppose à l’obligation d’ouvrir certaines fonctionnalités avancées de son système iOS à des accessoires tiers comme les montres connectées, les écouteurs sans fil ou les casques de réalité mixte non estampillés Apple. Une décision qui, selon elle, mettrait en péril la sécurité des données personnelles, nuirait à l’intégrité de son écosystème technologique et freinerait l’innovation.
Une interopérabilité imposée par l’UE pour briser les silos numériques
En mars dernier, la Commission européenne avait adopté une série de mesures concrètes afin de forcer Apple à se conformer à ses obligations d’interopérabilité. Selon Bruxelles, les fabricants tiers doivent pouvoir accéder aux mêmes fonctionnalités de connectivité que les produits Apple, afin de garantir une égalité de traitement pour les consommateurs européens.
Ces fonctions comprennent notamment :
- l’accès aux notifications iOS pour les montres concurrentes,
- un jumelage simplifié via Bluetooth ou Wi-Fi Direct,
- des transferts rapides de données entre appareils,
- ou encore des paramètres réseau comme l’historique Wi-Fi.
L'objectif : permettre à des produits comme les casques de Meta, les montres Garmin ou les écouteurs de marques alternatives de fonctionner aussi efficacement avec un iPhone que ne le feraient des AirPods, une Apple Watch ou un Vision Pro. Pour la Commission, il s’agit de stimuler l’innovation, de favoriser la concurrence et de renforcer le choix du consommateur.
Apple dénonce une atteinte à sa sécurité et à sa philosophie produit
Apple, de son côté, voit dans ces mesures une menace directe à son modèle. La firme revendique un écosystème fermé mais intégré, conçu selon elle pour offrir une expérience utilisateur homogène, sécurisée et fluide. Ouvrir certaines API et fonctions à des tiers revient, selon Cupertino, à compromettre cet équilibre.
Dans un communiqué, Apple s’alarme en outre des risques accrus pour la vie privée des utilisateurs européens car ces règles permettront à des entreprises avides de données d’obtenir des informations sensibles. Elles compromettent la sécurité que nous nous efforçons d’assurer depuis des années selon le géant américain.
Parmi les demandes jugées les plus intrusives, la firme cite l’accès aux contenus des notifications, aux données de géolocalisation ou encore à l’historique des connexions réseau, des informations que même Apple affirme ne pas consulter pour ses propres besoins.
Un recours stratégique aux conséquences majeures
Ce recours devant la justice européenne marque une nouvelle étape dans la bataille juridique entre Apple et l’UE. Il s’ajoute à un précédent contentieux : en avril, Apple avait déjà été condamné à une amende de 500 millions d’euros pour avoir restreint les développeurs d’applications dans leur communication avec les utilisateurs au sein de l’App Store. Là encore, la firme a fait appel.
En s’attaquant cette fois à la question de l’interopérabilité matérielle, Apple joue une carte stratégique. La vente d’accessoires connectés constitue une source de revenus non négligeable pour le groupe. L’avantage concurrentiel de ses produits – leur compatibilité exclusive et optimisée avec les iPhone – pourrait s’éroder si les marques tierces bénéficient du même accès aux fonctions clés d’iOS. Cela affaiblirait la logique d’écosystème intégré, au cœur du business model d’Apple.
Par ailleurs, cette ouverture forcée pourrait redistribuer les cartes sur des marchés émergents, comme la réalité mixte ou les wearables intelligents, où Meta, Google, Spotify ou Garmin lorgnent déjà sur les parts de marché détenues par Apple.
Une longue bataille judiciaire en perspective
Si Apple a officiellement déposé son recours dans les délais impartis, la procédure pourrait s’étendre sur plusieurs années. En attendant un verdict définitif de la Cour, la firme reste contrainte de se conformer aux injonctions de la Commission européenne, sous peine de sanctions supplémentaires. Le DMA prévoit en effet des amendes pouvant atteindre jusqu’à 10 % du chiffre d'affaires mondial d’une entreprise qui ne respecterait pas ses obligations.
Pour Bruxelles, l’ouverture de ces fonctionnalités constitue un levier essentiel de rééquilibrage sur un marché numérique dominé par un petit nombre d’acteurs. Pour Apple, c’est un coup porté à son ADN de fabricant-intégrateur, qui pourrait avoir des répercussions profondes sur sa stratégie commerciale en Europe.
Ce nouveau bras de fer illustre l’ambition de l’Union européenne de reprendre la main sur les pratiques des géants de la tech, en garantissant un environnement numérique plus ouvert, plus concurrentiel et plus favorable aux consommateurs. Mais il démontre aussi la résistance farouche des plateformes dominantes face à des réglementations qu’elles jugent injustes ou contre-productives.
Avec ce recours, Apple espère non seulement échapper à certaines contraintes du DMA, mais aussi envoyer un message clair : son écosystème n’est pas négociable. Une position qui promet un affrontement juridique de longue haleine, potentiellement décisif pour l’avenir de l’interopérabilité numérique en Europe.